Baskın Oran

France-Armenie Dergisine Röportaj

Quels sont les acteurs du dialogue arméno-turc. Dans quelle mesure Hrant Dink a-t-il influencé ce dialogue ?

S’il s’agit du dialogue entre les Arméniens de la Turquie et les Turcs, HD a eu un impact extraordinaire sur ce dialogue. Par exemple moi qui ai 62 ans, Hrant est seulement le troisieme arménien que j’ai connu dans ma vie. Le premier était M. Artin, celui qui m’a vendu une Citroën traction-avant, modèle 53 en 1969 à Ankara, le deuxième Etyen Mahçupyan, mon ami assistant à la faculté de Sciences-Po. Le premier était une relation commerciale, le deuxième une amitié. Quant à Hrant, c’était un Arménien. Mon premier Arménien authentique. C’est après avoir connu Hrant que j’ai vraiment pris conscience de l’existence des Arméniens en Turquie. C’est de cette façon là que la Turquie dans son ensemble s’en est rendu compte également.

Si vous entendez par la le dialogue entre les Armeniens du monde entier et les Turcs, la, c’est autre chose.

Des changements palpables ont-ils été perçus dans ces relations ?

Comme je l’ai dit, il nous a fait rendre compte que « des Arméniens existent ». Parce que contrairement à ce que pense la Diaspora, les Turcs n’étaient pas conscients du problème arménien avant Hrant. Oui, il y avait eu les assassinats d’ASALA mais cela n’avait servi qu’à produire de la haine et non pas à prendre conscience des Arméniens. C’est Hrant qui a fait entendre la voix des Arméniens et ensuite certains ont commencé petit à petit à se demander : « Que s’est-il donc passé en 1915 » ?

Pouvez-vous parler de la perception des minorités en Turquie ?

La vision des minorités en Turquie est toujours sous l’influence du Système des Nations (Millet Sistemi) engagé en 1454. Les Musulmans étaient la communauté dominante et les non-musulmans la communauté dominée. Ils sont autonomes mais considérés sans aucun doute, de la seconde zone, et même de classe inférieure. Le Traîté de Lausanne a fait sienne cette vision. Lorsque Hrant a démontré que des arméniens aussi existaient, les turcs se sont aperçus pour la premiere fois que c’etait des êtres humains et pas que des non-musulmans.

Quelles sont à votre avis les perspectives pour l’avenir ?

Suite à l’assassinat de Hrant, les arméniens de Turquie se sont sans doute interrogés s’ils pouvaient encore rester dans ce pays. Cependant 4 jours après les 100.000 personnes qui ont suivi les obsèques en acclamant « Nous sommes tous des arméniens » a remis en place la conscience que Hrant voulait donner. La confiance des arméniens en eux s’est renouvelée et renforcée. Les hommes et les sociétés ne reviennent jamais en arrière des objectifs qu’ils ont atteint. Ils s’arrêtent face à de grandes pressions, mais ensuite ils continuent en se disant « Où est-ce qu’on en était » ?

Que pouvez-vous dire de la montée du nationalisme (Le nationalisme qui se banalise…)

En Turquie, il existe actuellement un climat de délire relevant de la Paranoïa [du Traite] de Sèvres. Il y a deux raisons à cela :

1)Une réaction contre le mondialisme : cela existe aussi en Europe sous forme d’Islamophobie. C’est une réaction internationale. Certains comme Sarkozy ont éteint la lueur d’espoir allumée au sommet de Helsinki en 1999 (« la lumiere a l’autre bout du tunnel ») provoquant ainsi cette riposte.

2)Une peur des zombies. La Turquie n’a en fait résolu aucun de ses problèmes. Elle les a tous refoulés comme des cadavres dans le placard. Il se trouve que toutes ces questions, ruent maintenant sur les Turcs déguisés en vrais zombies : les questions chypriote, arménienne, kurde, islamiste. Et tout cela crée une grande peur.

En contrepartie, le nationalisme a atteint son zénith, nourri par ces deux situations. Malheureusement, les faucons de la diaspora et les faucons nationalistes de Turquie (et par ailleurs l’Etat profond) s’alimentent de la même source.

1915 et l’ouverture que HD a apporté à ce sujet.

Hrant a tout dit ouvertement mais en douceur. Sans avoir peur. Mais il a posé la question suivante aux faucons de la diaspora : « Voulez-vous que le « génocide » soit accepté de force par la Turquie ou alors désirez-vous une Turquie démocratique qui puisse l’accepter par ses dynamiques internes » ?

Cette question expose tout, de façon très claire. Je comprends parfaitement la diaspora. Elle est très indignée par la politique négationniste de la Turquie et le fait qu’elle ne dise ne serait-ce que « Nous sommes désolés pour les événements qui ont eu lieu à l’époque Ottomane. Nous présentons nos condoléances aux Arméniens ». De plus, cette indignation est intensifiée par la volonté de dissimuler les crimes commis par l’Union et Progrès (İttihat Terakki). Une personne ne peut pas se ressaisir s’il n’a pas fait son deuil. C’est pourquoi il y a une tradition de « lamentation » en Anatolie, pratiquee en chantant tout en larmes. On extériorise le feu intérieur afin de l’apaiser. Les Arméniens n’ont pas eu l’occasion de faire cela. L’Etat Turc ne leur a pas donné la possibilité. C’est ce qui a affolé les Arméniens. C’est pourquoi ils punissent maintenant les Turcs en mettent l’accent sur le mot « génocide » dans des dimensions irrationnelles.

Mais le fait est que le mot « génocide » n’ayant qu’un seul sens en Turquie, c.à.d le « nazisme », la Turquie refoule encore d’avantage cette épisode de son histoire. Cette fois-ci, ce sont les Turcs qui s’affolent.

S’il fallait résumer la situation, on se trouve face à un cercle vicieux qui anéantit à la fois les Arméniens et les Turcs.

Même les intellectuels Turcs évitent de mettre un nom dessus.

Par exemple moi je n’utilise pas le terme « génocide ». Je nomme « les massacres ». En premier lieu parce que cela perpétue à l’infini le cercle vicieux que j’ai mentionné ci-dessus et deuxièmement il y a plus de différences que de ressemblances entre le Génocide des Juifs et les Massacres des Arméniens. Je ne veux pas entrer dans le détail maintenant. Certains connaissent ces différences et il est inutile que j’explique à ceux qui ne veulent pas comprendre parce qu’ils ne veulent pas entendre.

Appelez le « des crimes contre l’humanité » , « massacres inhumaines », « atrocites, ou des « crimes effroyables ». Appelez-le ce que vous voulez mais ne dites pas « génocide » parce que vous compliquez la tâche de nous autres, les démocrates en Turquie. Mais certains ne veulent rien comprendre.

Parlons un peu du processus de la démocratisation, les résultats des élections et le processus de la candidature à l’UE.

On ne peut pas régler ces affaires aussi vite que si vous claquiez les doigts. Pensez donc un peu, même une personne comme moi , un professeur d’université, j’ai commencé à prendre conscience de certaines choses après avoir connu Hrant. Imaginez donc la position du peuple. Un peuple endoctriné à tel point par l’idéologie officielle et le nationalisme. Un peuple qui se dit « On m’a traité de Nazi ».

Pensez-vous que le parti AKP a dupé le peuple ou alors qu’il n’a pas pu franchir les obstacles ?

Le parti AKP a très peur actuellement. Par ailleurs, il aggrave la Paranoïa de Sèvres en plaçant aux postes clés de la bureaucratie ses « islamistes ». Il faut cependant avouer que le pouvoir en place est le moindre mal. Pour la premiere fois en Turquie un gouvernement qui n’est pas nationaliste est au pouvoir. Cela est extrêmement important.

La Turquie ne peut-elle se démocratiser autrement que par l’intermédiaire de l’UE ?

Mais si. Le chemin parcouru par les pays européens en 400 ans, la Turquie l’a traversé en 70 ans. Est-ce qu’il y avait l’UE dans les années 20-30 ? Mais il est certain que l’attitude que prendra l’UE est essentielle. Si elle montre une lueur d’espoir a l’autre bout du tunnel même si c’est au bout de 15 ans, les réformistes en Turquie pourraient réaliser de grandes avancées. Je comprends l’UE. Le déficit de son budget après l’élargissement vers les pays de l’Europe de l’Est et la surenchère de l’islamophobie à la suite du 11 septembre ont crée cette situation..

Le procès en cours et l’article 301. Quand est-ce que la Turquie pourra un jour atteindre le statut de l’Etat de droit

Quand elle touchera le fond. On peut dire que nous sommes à peu près à ce stade là. Comme je l’ai déjà dit la Turquie est en train de vivre une delire actuellement. Les progressistes et les démocrates sont victimes de lynchage ou les victimes sont detenus au lieu des agresseurs. Les non-musulmans/missionnaires sont assassinés sous la torture, le parti des kurdes sera bientôt aboli, des drapeaux sont accrochés partout aussi bien sur les bâtiments que des voitures. Dans un tel contexte, les juges n’appliquent pas le droit existant ; ils appliquent des articles de loi qu’ils ont inventé eux-mêmes (vous pouvez consulter mes articles parus dans Radikal Iki tous les dimanches. Certains sont traduits et publiés sur le site www.turquieeuropeenne.eu). Leur objectif n’est pas de rendre une justice mais de « sauver la Turquie ». Une Turquie des années 30 qu’ils veulent malheureusement préserver. Je vais aller encore plus loin : Lorsque la Turquie doit jouer un match de football, je prie pour qu’il y ait match nul. Les gens ont des réactions manique-depressif ; si jamais ils sont les vainqueurs, ils tirent en l’air et crient « La Turquie est la plus forte, personne d’autre ne peut l’égaler » en provoquant même la mort des enfants qui se trouvent sur les balcons ; ou alors si jamais ils sont vaincus ils ont une attitude dépressive et ils tirent en l’air pour exprimer leur chagrin.

L’avenir d’Agos

Je suis le premier journaliste non-arménien à intégrer l’équipe d’Agos. Depuis 2000, j’ecrisdans chaque numéro. A la suite de l’assassinat de Hrant et grâce a la reaction des cercles democrates tant à l’attitude professionnelle d’Etyen beaucoup de journalistes turcs ont commencé à collaborer, le nombre de pages est passé ainsi de 12 à 24. Par exemple Ayşe Hür et Dilek Kurban font chacune une page entière. Agos est devenu le symbole le plus important et le plus respecte de la société civile turque. Les organisations de societe civile consacrent, toutes, un stand pour Agos à chacune de leurs activités. Aujourd’hui, j’ai participé à la réunion de l’association « Halte au Nationalisme et au Racisme » et j’y ai constaté que les deux derniers numéros d’Agos étaient en vente. Désormais on peut trouver Agos dans les grands kiosques. Ceci est extrêmement important pour faire entendre la voix des minorités en Turquie et montrer que les Arméniens de Turquie représentent un symbole des plus importants pour la démocratisation du pays.

Quant à la Diaspora, avez-vous un message à leur transmettre ?

J’en ai déjà parlé ci haut. La Diaspora sanctionne les Turcs en se focalisant sur le mot « génocide » parce qu’on ne leur a pas permis de faire leur deuil. Je ne sais pas ce qu’il faut dire aux Turcs qui ne veulent pas comprendre cette réalité. Mais s’il fallait que l’on en parle de façon claire et de tout, il faudra que je précise encore deux points qui viennent compléter le Cercle Vicieux dont j’ai déjà mentionné.

1)Ce discours sur le « génocide » est utilisé comme un « traumatisme choisi » (Chosen Trauma). Ce discours leur permet de se faire entendre dans des pays comme les USA, la France et cela les permet de lutter contre l’assimilation naturelle dans un pays chretien. L’équivalent en Turquie est la Paranoïa de Sèvres. Ces deux concepts replient sur elles mêmes aussi bien la Diaspora que la Turquie. Ces deux peuples s’enferment dans leur ghetto chacune de son côté en empêchant la compréhension mutuelle.

D’autre part, ces deux peuples n’en sont pas concients mais ils sont humilies par leurs traumatismes choisis. Toute personne qui ressent une telle nécessité pourcontinuer à vivre s’humilie soi-meme et cela va bien au-dela de l’humiliation produite par la pitie des autres.

2)Dans les pays en voie de développement, la dynamique interne menant a la modernisation est paresseuse. Elle ne peut être provoquée que par des dynamiques externes. En effet, les intellectuels appliquent les progrès effectués en l’Occident grâce à une révolution « par la-haut », entraînant ainsi la modernisation.

Mais cela entraine une facture a payer : les reactions internes. A chaque action, une reaction. Le délire que j’ai mentionné ci-haut en est l’exemple supreme. Il s’agit d’une telle riposte qui réagit contre la révolution d’en-haut (le kémalisme) de l’époque des années 1920-30, et en meme temps contre la legislation pour la candidature a UE (qui justement essaie de briser le statut moniste du kémalisme).

Cette réaction affaiblit terriblement la tâche de nous autres, les démocrates, qui luttons pour expliquer aux Turcs les atrocités de 1915.

La Diaspora n’est peut-être pas au courant ou ne prend pas acte ou alors ne veut même pas entendre tout ceci. Tout comme les nationalistes en Turquie ne veulent pas entendre certains messages à cause du mot « génocide ».

Je crains que nous ayons encore un long chemin à parcourir.

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