Baskın Oran

« MK », Récit d’un déporté arménien, Texte établi par Baskin Oran

« MK »,
Récit d’un déporté arménien,
Texte établi par Baskin ORAN
(traduit du turc par Elif Saner et revu par François Skvor), Editions Turquoise

Nouvelles d’Arménie Magazine : Avez-vous connu « M. K. » ? Comment l’enregistrement de ses mémoires de déporté vous sont-elles parvenues ?

Baskin Oran : Malheureusement je ne l’ai pas connu ; je n’ai pas eu cet honneur. Je dis bien « honneur » car je me suis aperçu que M.K. etait la saintete meme le moment ou j’ai commence a ecouter ses memoires enregistrees en 1980 lorsqu’il avait 74 ans. Il mourut a Sydney en 1997 ; son fils Stepan Kirkyasharian ne me les a envoyes qu’en aout 2004, lorsque nous eumes fait connaissance par l’intermediaire d’un ami commun. Il voulait que les memoires de son cher papa soient publiees.

« Un saint ». C’est d’ailleurs exactement ce que m’avait dit Stepan: « My father was a saintly man ». J’avais d’abord pense qu’il exagerait par tendresse du fils pour son pere, mais j’avais tort.

NAM : Etait-ce la première fois que vous étiez confronté au témoignage d’un survivant ? Comment vous est venue l’idée de faire ce livre ?

B.O. : Depuis un certain temps deja j’etudiais les relations des Armeniens Ottomans avec les autres groupes ethno-religieux de l’Empire et avec l’Etat, surtout a partir de Tanzimat (1839) jusqu’aux massacres de 1915. Je faisais aussi chaque annee un seminaire de doctorat a la Fac de Sciences Po d’Ankara intitule « Question Armenienne ». J’ai donc commence a travailler avec grand interet sur ces enregistrements quand je suis entre en contact avec Stepan. D’abord je les ai fait dechiffrer a une de mes anciennes etudiantes qui est aveugle et qui, par consequent, jouit d’un ouie fine. Puis une echange interminable de mels commença avec Stepan, avec les autres parents de M.K., et meme avec d’autres chercheurs comme le Syriac R. Donef en Australie. Il y avait des mots et passages que je ne comprenais pas. Et aussi, des evenements pas tres clairs comme le siege de Azakh, ou le pogrom d’Adana de 1909. Puis, obtenir les photos et faire dessiner les cartes. Annoter le texte. Preparer tout ça m’a pris plus d’un an plein temps, tandis qu’au debut je pensais que je n’ecrirais qu’une simple introduction.

NAM : Quel fut l’impact de ce livre en Turquie ?

B. O. : Nous sommes a ce moment a la quatrieme impression. La premiere a coincide avec l’ouverture de la premiere Conference Armenienne a Istanbul. C’etait une vraie demolition de tabou qui alla jusqu’aux funerailles de Hrant : « Nous sommes tous Armeniens ».

NAM : « MK » fait le récit de ce qu’un enfant de 9 ans a vécu. Un témoignage unique. Mais quelle place occupe ce livre par rapport à d’autres livres plus théoriques publiées sur 1915 en Turquie ?

B. O. : Il n’y a pas de theorie la dedans, donc pas d’ideologie. Rien que du vecu d’un enfant qui n’a meme pas atteint la puberte. Pur et simple. Le recit de M.K. est emouvant au plus haut degre non seulement parce qu’il raconte des choses simplement affreuses (sa mere se suicide devant ses yeux, son pere est battu a mort, une femme est -cela est entre les lignes- violee avant de succomber aux coups de poignard a quelques metres de lui) mais ce recit vous frappe aussi parce que l’enfant M.K. ne developpe aucune rancune. C’est etrange et c’est meme surhumain, moi je trouve.

NAM : Vous dédiez l’édition française de ce livre à Hrant Dink. Un an après son assassinat, comment peut-on évaluer la situation aujourd’hui en Turquie ?

B. O. : J’avais dedie l’edition turque a M.K. lui-meme. Mais entretemps Hrant, mon bel ami, fut assassine. Moi je prends ça comme un maillon lointain des massacres dont M.K. fut temoin car la mentalite des tueurs est la meme : celle de la « Nation dominante », concept central du « Systeme de Millet » introduit en 1454. Bien qu’il fut officiellement aboli en 1839 ce « systeme » qui se repose sur l’inegalite entre Musulman et non-Musulman continue toujours dans la cervelle des gens. Et meme, il se repose sur le mepris du premier contre le deuxieme (Nation dominee), d’où ce que chere Rakel appellerait « créer d’un bebe un tueur ». J’ai donc dedie l’edition française a Hrant.

Avec l’assassinat de Hrant les Armeniens de Turquie se sont pris de panique. Mais quatre jours apres, c’est-à-dire a ses funerailles ils ont pris de nouvelles forces avec la marche d’au moins cent mille personnes derriere son cercueil.

A ce moment ou j’ecris ces lignes je me sens en peine mais en paix. Car le vœux de Hrant est accompli. Les democrates turc appuient sans faille ce qu’il a commence : Ouvrir tout pleinement les conciences aux horreurs de 1915 sans pourtant chercher a maudir les petits-enfants des tueurs Ottomans…

(Propos recueillis par Isabelle Kortian)

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